Le monde compte toujours plus de personnes ultra-riches. En 2000, on dénombrait 470 milliardaires, ils sont 2 700 en 2023, selon les différentes sources qui font autorité en la matière. Le nombre de millionnaires est aussi à la hausse. Si certains grands fortunés cèdent une partie de leur richesse à des oeuvres caritatives, la philanthropie n'est pas toujours seulement une affaire de générosité. 

« Les enfants n’ont pas besoin de 500 millions de dollars pour bien vivre. Voyons », a déclaré le chanteur des Rolling Stones Mick Jagger ce 26 septembre au Wall Street Journal Magazine. « On peut peut-être faire le bien dans le monde », a-t-il ajouté. La rock star millionnaire de 80 ans a ainsi décidé que le catalogue du groupe puisse être cédé un jour à des œuvres caritatives. Si cette histoire fait les choux gras des médias depuis quelques jours, le fortuné Mick Jagger ne fait pourtant pas figure d’exception en la matière.

Mi-septembre, près de 1 500 objets appartenant à Freddie Mercury, l’icône du groupe Queen, ont été vendus aux enchères. Sur les 46,5 millions d’euros récoltés, un record pour ce genre de collection, une partie doit être reversée à deux organisations impliquées dans la lutte contre le sida (Mercury Phoenix Trust et Elton John Aids Foundation), maladie qui a emporté la star anglaise en 1991 à 45 ans. Un choix qui aurait « donné le sourire à Freddie », a déclaré Elton John dans un communiqué de la célèbre maison de vente Sotheby’s. Cent-trente milliards de dollars sont nécessaires pour lutter efficacement contre le VIH, la tuberculose et le paludisme pour la période 2024-2026, selon Médecins sans frontières.

Si faire don d’une partie de sa richesse peut être vu comme de la pub pour se donner une bonne image, les millionnaires ont aussi des causes qui semblent leur tenir à cœur. C’est par exemple le cas du milliardaire américain d’origine russe Sergey Brin (53,4 milliards de fortune en 2019), qui fait don de 383 millions de dollars en 2014 à sa fondation qui aide notamment un réseau d'entrepreneurs solidaires, ainsi que la Human Rights Foundation, l'ONG Tipping Point Community qui lutte contre la pauvreté à San Francisco ainsi que pour la recherche contre la maladie de Parkinson. Ce qui fait du co-fondateur de Google le plus grand donateur individuel pour cette maladie et l’une des rares personnes en vie à avoir consacré plus d’un milliard de dollars à une maladie spécifique. 

Les Américains, plus généreux que les autres ?

Parmi les grandes fortunes de ce monde qui choisissent la philanthropie, il apparaît que les donateurs les plus généreux viennent des États-Unis. Selon les estimations de Forbes, les 25 plus grands donateurs des États-Unis ont fait don de 196 milliards de dollars au cours de leur vie jusqu’à la fin de 2022. En tête de classement, Bill Gates, le cofondateur de Microsoft. En 2023, sa fortune personnelle était estimée à 108 milliards de dollars. L’entrepreneur américain, consacré 18 fois par le magazine Forbes comme « homme le plus riche de l’année », a donné en 2022 plus de cinq milliards. Bill Gates se consacre également depuis 2007 à sa fondation qui a pour but d’améliorer la santé à l’échelle mondiale. Pour lui, le plus grand danger au monde, « ce sont les microbes, pas les missiles ».

En deuxième position de ces « généreux donateurs » se trouve l’homme d’affaires Michael Bloomberg, ex-maire de New York, qui a légué quelque 1,7 milliard de sa fortune l’an dernier. Vient ensuite Warren Buffet. En 2010, l’homme d’affaires lance l’initiative The Giving Pledge (« promesse de donation »), signée par 187 fortunes américaines qui s’engagent à léguer au minimum 50% de leur fortune après leur mort à des œuvres de charité.

Cette générosité américaine (Mark Zuckerberg, Jeff Bezos, George Soros etc.) s’expliquerait par plusieurs raisons : être philanthrope aux États-Unis est une vertu morale, la croyance au self made man est implantée plus que partout ailleurs dans le monde. Aussi, la charité est très présente dans cette société où 70% de la population se dit chrétienne.

Une question d’impôts ?

À la différence des Américains, les très riches Français sont moins généreux. Ils estiment souvent que c’est à l’État de distribuer puisque les citoyens participent à l’impôt. La fiscalité est d’ailleurs un sujet très débattu en France. Les plus riches de l’Hexagone sont régulièrement accusés de verser une partie de leur fortune à des associations pour payer moins d’impôts, car les incitations fiscales au don sont, en France, les plus généreuses du monde. 

Dernière tempête en date : le don de l’homme le plus riche du monde, Bernard Arnault, de 10 millions d’euros aux Restos du cœur en pleine tourmente, soit un tiers des 35 millions d’euros dont a besoin l’association pour boucler son budget 2023. Mais, pour le président du premier groupe de luxe mondial LVMH, cela ne représente « que » 0,005% de son patrimoine. Selon Forbes, la fortune familiale de Bernard Arnault est estimée à 190 milliards.

Pourtant, selon un sondage CSA, 89% des Français interrogés considèrent ce don comme une démarche positive. Une opinion largement partagée quels que soient l'âge, le sexe et la profession des Français sollicités. « Être riche donne des responsabilitésLa première est de contribuer à la solidarité nationale », déclarait il y a peu l’entrepreneur Geoffroy Roux de Bézieux, ex-président du Medef et philanthrope à ses heures lui aussi.

De la pure générosité ?

En novembre 2022, le groupe de cryptomonnaies FTX fait faillite. Depuis, les révélations sur le milliardaire Sam Bankman-Fried se succèdent. Dernier en date en juillet dernier : SBF a « généreusement » donné à son association caritative 72 millions de dollars, en les prélevant sur les comptes de FTX et de son autre entreprise Alameda Researsh. Les repreneurs du groupe reprochent à Sam Bankman-Fried d’avoir exploité sa fondation philanthropique pour se faire bien voir, voire d’accroître sa fortune.

Pour le chercheur américain Rob Reich, le système de dons exacerbe les inégalités au lieu de les réduire. Il remet en cause les avantages fiscaux accordés aux donateurs et aux fondations privées. « La philanthropie ne mérite pas seulement nos encouragements et notre gratitude, elle mérite aussi notre méfiance », écrit-il. Rob Reich explique ainsi que la philanthropie est une forme et un exercice de pouvoir. « Il est nécessaire et urgent de l’analyser, car le nombre de fondations privées a explosé ces vingt dernières années, aux États-Unis et en France, et elles ont un poids réel sur nos politiques publiques. »

« Ce n’est pas un hasard si beaucoup des plus grands donateurs altruistes efficaces ont fait fortune dans l’industrie des nouvelles technologies, explique dans son livre le professeur de science politique à Stanford et auteur de Just Giving. Le techno-libertarisme qui a cours dans la Silicon Valley s’accorde très bien avec la figure du philanthrope héroïque qui veut “rendre le monde meilleur”. L’idée que le gouvernement pourrait être plus efficace ne vient pas à l’esprit des technocrates individualistes de la Silicon Valley.  »

Ainsi se fait jour une certaine ambivalence des pratiques philanthropiques. « Celles-ci partagent des points communs avec le paternalisme industriel classique : protection de l’ordre social, réputation élitaire, distinction et intérêts économiques s’entremêlaient déjà au siècle précédent, analyse de son côté Anne Bory maître de conférences à l’université de Lille et chercheur au Clersé (Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques). Comme le disait Henri Hatzfeld [historien français de la Sécurité sociale, NDLR], cela oblige à envisager concomitamment la « convergence d’une générosité qui peut être sincère et d’un sens fort averti des intérêts patronaux » et des intérêts familiaux si on parle des philanthropes individuels. Par ailleurs, quand on est positionné tout en haut de l'espace social, on a intérêt à ce que l'ordre social soit maintenu ».

Cet altruisme des super-riches dont la sincérité peut parfois être mise à mal porte même un nom : le « philantrocapitalisme ». Un terme inventé par les Américains Matthew Bishop et Michael Green, auteurs en 2008 de l'ouvrage Philanthrocapitalism: How the Rich Can Save the World. Particularité des « philantrocapitalistes », leur fortune continue d'augmenter malgré les sommes immenses allouées ici ou là. Et en dépit de tout cet argent, les inégalités dans le monde entre pauvres et riches ne font que s'accentuer, comme le pointe régulièrement l'organisation Oxfam.

rfi

 

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