Cette frontière séparait un district riche de la capitale, La Molina, de quartiers pauvres de Villa Maria del Triunfo. Le tribunal constitutionnel avait ordonné la démolition du mur en décembre 2022 et donné un délai de 180 jours. Les travaux ont commencé et la décision n’est pas vue du même oeil selon que l’on vit d’un côté ou de l’autre de la séparation. 

Le « mur de la honte » ne sera bientôt plus qu’un souvenir pour Gonzalo. Le collégien de 12 ans, comme des centaines d’écoliers et de travailleurs, le franchit tous les jours pour aller à l’école, en passant par l’une des deux ouvertures parmi les 4,5 kilomètres de long. Puis, il dévale la pente poussiéreuse qu’il devra remonter au retour : « monter et descendre comme ça, en plus de l’école, ça fatigue », confie Gonzalo. 

La hauteur du mur de pierres oscille entre 1,20 mètre et 2 mètres. Construit dans les années 80 puis prolongé, le mur divise deux districts, deux facettes de la société péruvienne. D’un côté, des quartiers sans eau potable, des petites habitations aux toits de taule, loin de tout service public, dans le district de Villa Maria del Triunfo (VMT). De l’autre côté, La Molina, district aisé, où les maisons sont protégées par de hautes clôtures, les rues, gardées, les jardins, verdoyants et parfois agrémentés d’une piscine. 

Pour Gonzalo, qui passe d’un monde à l’autre pour aller à l’école, la démolition du mur est une bonne nouvelle. « Nous pourrons transiter librement. Il n’y avait que ce passage-là », explique-t-il en pointant l’ouverture qu’il emprunte, « si l’on vient de plus loin, il faut longer le mur longtemps avant d’entrer là ».

Discrimination et libre transit

Le Tribunal Constitutionnel (TC) a ordonné la démolition du mur le 20 décembre 2022, au terme d’une procédure de quatre ans initiée par des habitants de VMT. Pour le tribunal, ce mur portait atteinte aux droits de se déplacer librement, à l’égalité et à la non-discrimination. Le délai d’application était dépassé depuis le mois de mai, la mairie de La Molina a fini par commencer les travaux début septembre, expliquant son retard par « un manque de budget »

À La Molina, les municipalités précédentes avaient érigé le mur pour lutter contre la construction d’habitations informelles, dans un contexte d’exode rural massif. En trente ans années, la population de Lima a doublé, passant de 5,5 millions d’habitants à 11 millions.

Pour le moment, les ouvriers municipaux ont démantelé la moitié du mur et Gustavo Gutierrez, magistrat du TC, assure veiller à l’application de la mesure. « La discrimination est très marquée au Pérou depuis 200 ans. Notre décision n’est donc pas toujours bien comprise. Mais en tant que tribunal, il est important d’acter certaines choses inadmissibles », explique-t-il.

 

Le mur, disposant de rares ouvertures sur 4,5 km, sépare dans cette zone les habitations sommaires des quartiers pauvres de Villa Maria del Triunfo, à gauche, d’un parc de promenade où les habitants de La Molina, district plus aisé, se baladent et pratiquent des activités sportives le week-end.
Le mur, disposant de rares ouvertures sur 4,5 km, sépare dans cette zone les habitations sommaires des quartiers pauvres de Villa Maria del Triunfo, à gauche, d’un parc de promenade où les habitants de La Molina, district plus aisé, se baladent et pratiquent des activités sportives le week-end. © Juliette Chaignon/RFI
 

Début septembre, le magistrat a même chaussé ses baskets pour aller à la rencontre des habitants d’un groupement d’habitations de Villa Maria del Triunfo, nommé « Les défenseurs du 21 décembre ». Depuis, la vingtaine de voisins ont décidé de démanteler le mur eux-mêmes. Le dimanche, dès 6 heures du matin, ils grimpent jusqu’au mur, râteaux, pioches et maillets en main, pour enlever les pierres une à une. « Il y avait des tiges d’aciers que nous avons déjà sorties. Nous avons aussi sorti des piquets de bois et nous allons démolir tout le mur », précise Christian Sardi, président du quartier. 

Faire tomber un symbole

Dans cette zone, le mur sépare les habitations précaires d’un parc où les résidents de La Molina aiment se promener à pied ou à VTT. Problème : le parc ferme en fin d’après-midi, obligeant les travailleurs transfrontaliers à faire un détour de deux heures pour rentrer chez eux. 

Les habitants de VMT, comme Julia*, dénoncent aussi des contrôles d’identité fréquents une fois arrivés à La Molina. La chute du mur ne remédiera pas aux inégalités, reconnaît-elle, mais elle espère « que les changements vont vraiment avoir lieu et qu’avec cette décision de justice, les choses changeront durablement ». Les différences entre les deux districts sautent aux yeux de l’employée dans un hôpital : « La Molina est plus développée économiquement. Ils ont de meilleurs écoles, un meilleur système de santé. Alors que nous ici, nous avons besoin d’aide, et c’est parce que nous n’avons rien que nous ne pouvons vivre qu’ici ».

Comme beaucoup, elle n’a pu trouver une habitation que dans les hauteurs de Villa Maria del Triunfo, où sévissent les trafiquants de terrain, principale inquiétude du côté de La Molina : « il se pourrait, c’est mon avis, que des gens non recommandables viennent jusqu’ici, volent… c’est pour ça que pour nous le mur représente la sécurité », explique un promeneur du parc. 

« Ce n’est pas non plus le mur de Berlin, le passage est tout à fait libre », assure un autre résident du quartier aisé, sourire aux lèvres. Puis il y a pire, aime-t-on rappeler à La Molina : entre deux autres districts de Lima trône une séparation de 5 kilomètres de béton et de barbelés qui ne fait, elle, l’objet d’aucune décision judiciaire.

 

rfi

 

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