Alors qu’il était sur le point d’être exécuté, l’auteur d’un meurtre a été gracié au dernier moment par le père de la victime. Cela s’est passé le 20 février, dans la région Marib, dans le centre du Yémen. Et c’est une histoire de pardon qui soulève l'enthousiasme de nombreux Yéménites sur les réseaux sociaux, dans ce pays déjà meurtri par neuf ans de guerre. Pour notre Observatrice, cette grâce accordée au meurtrier n’aurait probablement pas été possible sans l’intervention d’une femme. Explications.

 

En 2016, Rabae Al-Demasi, un jeune homme issu de la tribu Bani Jabr, à l'ouest de Marib, a tué Sadam, un ami, au cours d’une dispute. Ce dernier était le fils d'Abdullah Al-Quhati, chef de la tribu Murad, dans la région de Marib. Rabae a été arrêté depuis, et condamné à mort. Son exécution était prévue le 20 février. 

Mais à l’approche de l’exécution, la mère de Rabae s’est rendue devant la tombe de la victime, Sadam, et a campé sur place, implorant le pardon de son père, Abdullah. Le 20 février, jour prévu de l’exécution, ce dernier décide d'accéder à la requête de la mère et accorde son pardon à Rabae. 

Bien que l’auteur du meurtre ait été jugé par un tribunal étatique, le système juridique yéménite accorde au père de la victime le droit de grâce. 

Le geste du père de la victime a été documenté en images, et largement relayé sur les réseaux sociaux.  

Sur cette photo, par exemple, on voit la mère du meurtrier assise devant la tombe de la victime, sous une tente bricolée, et un enfant dans ses bras.

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Dans cette vidéo, publiée le 20 février, Abdullah se dirige vers la mère du meurtrier de son fils, en compagnie de quelques membres de sa tribu, pour lui annoncer la bonne nouvelle. “ça y est tu peux enlever ta tente, ton fils est pardonné”, lui dit-il.

"Selon la coutume, il est honteux de refuser la requête d’une femme"

Notre Observatrice, Nadwa Dawsari, est une chercheuse yéménite qui vit entre les États-Unis et son pays d’origine. Ses travaux portent sur le rôle des coutumes tribales dans la résolution des conflits au Yémen. Pour elle, cette histoire illustre le rôle prépondérant de la femme dans la résolution des conflits au sein des communauté tribales du Yémen. 

Les femmes jouissent d’une certaine influence auprès des chefs de tribus au Yémen, elles sont écoutées et respectées. Mais leur rôle reste méconnu et peu médiatisé. 

Dans le système tribal, la femme est sanctuarisée, il est strictement interdit de s’en prendre à elle, même quand elle est issue d’un camp adverse lorsqu’il y a un conflit. 

Sur cette vidéo, un des médiateurs lit une déclaration annonçant le pardon. Le père de la victime se tient à sa droite, coiffé d’un turban blanc. À 1'51” ce dernier prend à son tour la parole, pour préciser qu’il n’exige aucune contrepartie. “Je ne veux pas le moindre centime” clame-t-il.

D’ailleurs quand il y a conflit, en général les femmes interviennent en tant que médiatrice. Par exemple, elles sont autorisées à récupérer les corps des personnes mortes pour les rendre à leur famille. 

Si cette femme a campé plusieurs jours devant la tombe de la victime pour implorer le pardon de son père, c’était une façon de le mettre sous pression, de le mettre dans l’embarras. Car selon la coutume, il est honteux de refuser la requête d’une femme dans ce genre de situation. Au contraire, quand la personne lésée accepte de pardonner, elle en sort grandie, et elle est davantage respectée au sein de la communauté. Le père ici montre qu’il est un homme d’honneur, une personne digne. 

Plus généralement, les tribus, à travers la loi coutumière qui régit leur quotidien,  jouent un rôle très important dans le maintien de la paix.

La loi coutumière des tribus interdit notamment à une personne de tirer sur son rival s’il se trouve dans un marché public, s’il est accompagné d’une femme ou s’il est en train de conduire. Nadwa Dawsari poursuit : 

Si ce système n’existait pas, on aurait beaucoup plus chaos dans le pays, car l’État s’est considérablement affaibli depuis le début de la guerre [un conflit armé qui oppose depuis 2014 les forces progouvernementales aux rebelles houthis, NDLR].

De nombreuses trêves localisées ont été conclues grâce à des médiations tribales depuis le début de la guerre. En août dernier par exemple, des chefs de tribus ont réussi à faire rouvrir une route importante reliant la ville de Mukayras à celle de Lawdar, dans le sud du pays. Cette route était fermée depuis 2015, à cause des combats entre les forces progouvernementales et les Houthis. 

Au Yémen, deux systèmes juridiques cohabitent : les tribunaux étatiques et l’arbitrage tribal, appelé le tahkim. Selon notre Observatrice, de nombreux Yéménites ont recours à ce dernier, selon eux plus équitable et plus efficace.

France 24

 

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